Page:Alfred de Vigny - Cinq-Mars, Lévy, 1863.djvu/366

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— Eh ! eh ! Demonio ! santo Demonio ! où vas-tu ? s’écria le contrebandier ; tu casses ma maison ! et c’est le côté du Gave.

Tous s’approchèrent avec précaution, arrachèrent les planches qui restaient, et se penchèrent sur l’abîme. Ils contemplèrent un spectacle étrange : l’orage était dans toute sa force, et c’était un orage des Pyrénées, d’immenses éclairs partaient ensemble des quatre points de l’horizon, et leurs feux se succédaient si vite, qu’on n’en voyait pas l’intervalle, et qu’ils paraissaient immobiles et durables ; seulement la voûte flamboyante s’éteignait quelquefois tout à coup, puis reprenait ses lueurs constantes. Ce n’était plus la flamme qui semblait étrangère à cette nuit, c’était l’obscurité. L’on eût dit que dans ce ciel naturellement lumineux, il se faisait des éclipses d’un moment, tant les éclairs étaient longs et tant leur absence était rapide. Les pics allongés et les rochers blanchis se détachaient sur ce fond rouge comme des blocs de marbre sur une coupole d’airain brûlant et simulant au milieu des frimas les prodiges du volcan ; les eaux jaillissaient comme des flammes, les neiges s’écoulaient comme une lave éblouissante.

Dans leur amas mouvant se débattait un homme, et ses efforts le faisaient entrer plus en avant dans le gouffre tournoyant et liquide ; ses genoux ne se voyaient déjà plus ; en vain il tenait embrassé un énorme glaçon pyramidal et transparent, que les éclairs faisaient briller comme un rocher de cristal ; ce glaçon même fondait par sa base et glissait lentement sur la pente du rocher. On entendait sous la nappe de neige le bruit des quartiers de granit qui se heurtaient, en tombant, à des profondeurs immenses. Cependant on aurait pu le sauver encore ; l’espace de quatre pieds à peine le séparait de Laubardemont.