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Page:Alfred de Vigny - Cinq-Mars, Lévy, 1863.djvu/368

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CHAPITRE XXIII

l’absence


L’absence est le plus grand des maux,
Non pas pour vous cruelle !

La Fontaine.


Qui de nous n’a trouvé du charme à suivre des yeux les nuages du ciel ? qui ne leur a envié la liberté de leurs voyages au milieu des airs, soit lorsque, roulés en masse par les vents et colorés par le soleil, ils s’avancent paisiblement comme une flotte de sombres navires dont la proue serait dorée ; soit lorsque, parsemés en légers groupes, ils glissent avec vitesse, sveltes et allongés comme des oiseaux de passage, transparents comme de vastes opales détachées du trésor des cieux, ou bien éblouissants de blancheur comme les neiges des monts que les vents emportent sur leurs ailes ? L’homme est un lent voyageur qui envie ces passagers rapides ; rapides moins encore que son imagination ; ils ont vu pourtant, en un seul jour, tous les lieux qu’il aime par le souvenir ou l’espérance, ceux qui furent témoins de son bonheur ou de ses peines, et ces pays si beaux que l’on ne connaît pas, et où l’on croit tout rencontrer à la fois. Il n’est pas un endroit de la terre, sans doute, un rocher sauvage, une plaine aride où nous passons avec indifférence, qui n’ait été consacré dans la vie d’un homme et ne se peigne dans ses souvenirs ; car, pareils à des vaisseaux délabrés, avant de trouver l’infaillible naufrage, nous laissons un débris de nous-mêmes sur tous les écueils.

Où vont-ils les nuages bleus et sombres de cet orage