Page:Alfred de Vigny - Cinq-Mars, Lévy, 1863.djvu/393

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Joseph se tut. Il ne pouvait comprendre cet homme qui, entouré d’ennemis armés, parlait de l’avenir comme d’un présent à sa disposition, et du présent comme d’un passé qu’il ne craignait plus. Il ne savait s’il devait le croire fou ou prophète, inférieur ou supérieur à l’humanité.

Sa surprise redoubla lorsque Chavigny entra précipitamment, et, heurtant ses bottes fortes contre le tabouret du Cardinal, de manière à courir les risques de tomber, s’écria d’un air fort troublé :

— Monseigneur, un de vos domestiques arrive de Perpignan, et il y a vu le camp en rumeur et vos ennemis à cheval…

— Ils mettront pied à terre, monsieur, répondit Richelieu en replaçant son tabouret ; vous me paraissez manquer de calme.

— Mais… mais… monseigneur, ne faut-il pas avertir M. de Fabert ?

— Laissez-le dormir, et allez vous coucher vous-même, ainsi que Joseph.

— Monseigneur, une autre chose extraordinaire : le Roi vient !

— En effet, c’est extraordinaire, dit le ministre en regardant l’horloge ; je ne l’attendais que dans deux heures. Sortez tous deux.

Bientôt on entendit un bruit de bottes et d’armes qui annonçait l’arrivée du prince. On ouvrit les deux battants ; les gardes du Cardinal frappèrent trois fois leurs piques sur le parquet, et le Roi parut.

Il marchait en s’appuyant sur une canne de jonc d’un côté, et de l’autre sur l’épaule de son confesseur, le père Sirmond, qui se retira et le laissa avec le Cardinal. Celui-ci s’était levé avec la plus grande peine et ne put faire un pas au-devant du Roi, parce que ses jambes malades