Page:Alfred de Vigny - Cinq-Mars, Lévy, 1863.djvu/432

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En effet, le jour entièrement venu lui fit voir dans l’éloignement des femmes qui agitaient des mouchoirs blancs : l’une d’elles, vêtue de noir, étendait ses bras vers la prison, se retirait de la fenêtre comme pour reprendre des forces, puis, soutenue par les autres, reparaissait et ouvrait les bras, ou posait la main sur son cœur.

Cinq-Mars reconnut sa mère et sa famille, et ses forces le quittèrent un moment. Il pencha la tête sur le sein de son ami, et pleura.

— Combien de fois me faudra-t-il donc mourir ? dit-il.

Puis, répondant du haut de la tour par un geste de sa main à ceux de sa famille :

— Descendons vite, mon père, répondit-il au vieil abbé ; vous allez me dire au tribunal de la pénitence, et devant Dieu, si le reste de ma vie vaut encore que je fasse verser du sang pour la conquérir.

Ce fut alors que Cinq-Mars dit à Dieu ce que lui seul et Marie de Mantoue ont connu de leurs secrètes et malheureuses amours. « Il remit à son confesseur, dit le P. Daniel, un portrait d’une grande dame tout entouré de diamants, lesquels durent être vendus, pour l’argent être employé en œuvres pieuses. »

Pour M. de Thou, après s’être aussi confessé, il écrivit une lettre[1] : « Après quoi (selon le récit de son confesseur) il me dit : Voilà la dernière pensée que je veux avoir pour ce monde : partons en paradis. Et se promenant dans la chambre à grands pas, il récitoit à haute voix le psaume : Miserere mei, Deus, etc., avec une ardeur d’esprit incroyable, et des tressaillements de tout son corps si violents qu’on eust dit qu’il ne touchoit pas la terre et

  1. Voir la copie de cette lettre à Mme la princesse de Guéménée dans les notes à la fin du volume.