Page:Alfred de Vigny - Cinq-Mars, Lévy, 1863.djvu/446

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sentants. De loin en loin il élevait une voix impérieuse, et jetait une parole satisfaite au milieu de ce cercle pompeux, comme un denier dans la foule des pauvres. On pouvait alors reconnaître, à l’orgueil qui s’allumait dans ses regards et à la joie de sa contenance, celui des princes sur qui venait de tomber une telle faveur ; celui-là se trouvait même transformé tout à coup en un autre homme, et semblait avoir fait un pas dans la hiérarchie des pouvoirs, tant on entourait d’adorations inespérées et de soudaines caresses ce fortuné courtisan, dont le Cardinal n’apercevait pas même le bonheur obscur. Le frère du Roi et le duc de Bouillon étaient debout dans la foule, d’où le ministre ne daigna pas les tirer ; seulement il affecta de dire qu’il serait bon de démanteler quelques places fortes, parla longuement de la nécessité des pavés et des quais dans les rues de Paris, et dit en deux mots à Turenne qu’on pourrait l’envoyer à l’armée d’Italie, près du prince Thomas, pour chercher son bâton de maréchal.

Tandis que Richelieu ballottait ainsi dans ses mains puissantes les plus grandes et les moindres choses de l’Europe, au milieu d’une fête bruyante dans son magnifique palais, on avertissait la Reine au Louvre que l’heure était venue de se rendre chez le Cardinal, où le Roi l’attendait après la tragédie. La sérieuse Anne d’Autriche n’assistait à aucun spectacle ; mais elle n’avait pu refuser la fête du premier ministre. Elle était dans son oratoire, prête à partir et couverte de perles, sa parure favorite ; debout près d’une grande glace avec Marie de Mantoue, elle se plaisait à terminer la toilette de la jeune princesse, qui, vêtue d’une longue robe rose, contemplait elle-même avec attention, mais un peu d’ennui et d’un air boudeur, l’ensemble de sa toilette.

La Reine considérait son propre ouvrage dans Marie,