Page:Alfred de Vigny - Cinq-Mars, Lévy, 1863.djvu/488

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geusement ce calice de la mort ; oui, je le reçois d’un grand cœur, et je suis prêt à le boire tout entier.

« Et nomen Domini invocabo. Vous m’aiderez, mon Père, à implorer l’assistance divine, afin qu’il plaise à Dieu de fortifier ma faiblesse, et me donner du courage autant qu’il en faut pour avaler ce calice que le bon Dieu m’a préparé pour mon salut. »

Il passa les deux versets qui suivent dans ce Psalme, et s’écria d’une voix forte et animée : « Dirupisti, Domine, vincula mea ! Ah ! mon Dieu, que vous avez fait un grand coup ! vous avez brisé ces liens qui me tenoient si fort attaché au monde ! Il falloit une puissance divine pour m’en dégager. Dirupisti, Domine, vincula mea. » Voici les propres mots qu’il dit ici : « Que ceux qui m’ont amené ici m’ont fait un grand plaisir ! que je leur ai d’obligations ! Ah ! qu’ils m’ont fait un grand bien, puisqu’ils m’ont tiré de ce monde pour me loger dans le ciel ! »

Ici son confesseur lui dit qu’il falloit tout oublier, qu’il ne falloit pas avoir de ressentiment contre eux. À cette parole, il se tourna vers le père tout à genoux, comme il estoit, et d’une belle action : « Quoi ! mon père, dit-il, des ressentiments ? Ah ! Dieu le sait, Dieu m’est témoin que je les aime de tout mon cœur, et qu’il n’y a dans mon âme aucune aversion pour qui que ce soit au monde. Dirupisti, Domine, vincula mea ; tibi sacrificabo hostiam laudis. La voilà l’hostie. Seigneur (se montrant soi-même), la voilà cette hostie qui vous doit être maintenant immolée : Tibi sacrificabo hostiam laudis et nomen Domini invocabo. Vota mea Domino reddam (étendant les deux bras et la vue de tous côtés, d’un agréable mouvement, le visage enflammé) in conspectu omnis populi ejus. Oui, Seigneur, je veux vous rendre mes vœux, mon esprit, mon cœur, mon âme, ma vie, in conspectu omnis populi ejus, devant tout ce peuple, devant toute cette assemblée ! In atriis domus Domini, in medio tui Jerusalem. In atriis domus Domini. Nous y voici à l’entrée de la maison du Seigneur. Oui, c’est d’ici, c’est de Lyon, de Lyon qu’il faut monter là-haut (levant les bras vers le ciel). Lyon, que je t’ai bien plus d’obligation qu’au lieu de ma naissance, qui m’a seulement donné une vie misérable, et tu me donnes aujourd’hui une vie éternelle ! in medio tui, Jerusalem. Il est vrai que j’ai trop de passion pour cette mort. N’y a-t-il point de mal, mon père ? dit-il plus bas en souriant, se tournant à côté vers le père. J’ai trop d’aise. N’y a-t-il point de vanité ? Pour moi, je n’en veux point.