Page:Alfred de Vigny - Cinq-Mars, Lévy, 1863.djvu/69

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quence de Grandier et sa beauté angélique ont souvent exalté des femmes qui venaient de loin pour l’entendre parler ; j’en ai vu s’évanouir durant ses sermons ; d’autres s’écrier que c’était un ange, toucher ses vêtements et baiser ses mains lorsqu’il descendait de la chaire. Il est certain que, si ce n’est sa beauté, rien n’égalait la sublimité de ses discours, toujours inspirés : le miel pur des Évangiles s’unissait, sur ses lèvres, à la flamme étincelante des prophéties, et l’on sentait au son de sa voix un cœur tout plein d’une sainte pitié pour les maux de l’homme, et tout gonflé de larmes prêtes à couler sur nous.

Le bon prêtre s’interrompit, parce que lui-même avait des pleurs dans la voix et dans les yeux ; sa figure ronde et naturellement gaie était plus touchante qu’une autre dans cet état, car la tristesse semblait ne pouvoir l’atteindre. Cinq-Mars, toujours plus ému, lui serra la main sans rien dire, de crainte de l’interrompre. L’abbé tira un mouchoir rouge, s’essuya les yeux, se moucha et reprit :

— Cette effrayante attaque de tous les ennemis d’Urbain est la seconde ; il avait déjà été accusé d’avoir ensorcelé les religieuses et examiné par de saints prélats, par les magistrats éclairés, par des médecins instruits, qui l’avaient absous, et qui, tous indignés, avaient imposé silence à ces démons de fabrique humaine. Le bon et pieux archevêque de Bordeaux se contenta de choisir lui-même les examinateurs de ces prétendus exorcistes, et son ordonnance fit fuir ces prophètes et taire leur enfer. Mais, humiliés par la publicité des débats, honteux de voir Grandier bien accueilli de notre bon roi lorsqu’il fut se jeter à ses pieds à Paris, ils ont compris que, s’il triomphait, ils étaient perdus et regardés comme des imposteurs ; déjà le couvent des Ursulines ne semblait plus être qu’un théâtre d’indignes comédies ; les reli-