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Page:Alfred de Vigny - Cinq-Mars, Lévy, 1863.djvu/80

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Houmain en était là quand la porte par laquelle étaient sortis les témoins s’ouvrit tout à coup. Les juges, inquiets, se parlèrent à l’oreille. Laubardemont, incertain, fit signe aux pères pour savoir si c’était quelque scène exécutée par leur ordre ; mais, étant placés à quelque distance de lui, et surpris eux-mêmes, ils ne purent lui faire entendre que ce n’était point eux qui avaient préparé cette interruption. D’ailleurs, avant que leurs regards eussent été échangés, l’on vit, à la grande stupéfaction de l’assemblée, trois femmes en chemise, pieds nus, la corde au cou, un cierge à la main, s’avancer jusqu’au milieu de l’estrade. C’était la supérieure, suivie des sœurs Agnès et Claire. Toutes deux pleuraient ; la supérieure était fort pâle, mais son port était assuré et ses yeux fixes et hardis : elle se mit à genoux ; ses compagnes l’imitèrent ; tout fut si troublé que personne ne songea à l’arrêter, et d’une voix claire et ferme, elle prononça ces mots, qui retentirent dans tous les coins de la salle :

— Au nom de la très-sainte Trinité, moi, Jeanne de Belfiel, fille du baron de Cose, moi, supérieure indigne du couvent des Ursulines de Loudun, je demande pardon à Dieu et aux hommes du crime que j’ai commis en accusant l’innocent Urbain Grandier. Ma possession était fausse, mes paroles suggérées, le remords m’accable…

— Bravo ! s’écrièrent les tribunes et le peuple en frappant des mains. Les juges se levèrent ; les archers, incertains, regardèrent le président : il frémit de tout son corps, mais resta immobile.

— Que chacun se taise ! dit-il d’une voix aigre ; archers, faites votre devoir !

Cet homme se sentait soutenu par une main si puissante, que rien ne l’effrayait, car la pensée du ciel ne lui était jamais venue.