Page:Alfred de Vigny - Cinq-Mars, Lévy, 1863.djvu/83

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pendant, essayant de se remettre : — Quel conte absurde ! et qui vous y força donc, ma sœur ?

La voix de la jeune fille devint sépulcrale, elle en réunit toutes les forces, appuya la main sur son cœur, comme si elle eût voulu l’arracher, et, regardant Urbain Grandier, elle répondit : — L’amour !

L’assemblée frémit ; Urbain, qui, depuis son évanouissement, était resté la tête baissée et comme mort, leva lentement ses yeux sur elle et revint entièrement à la vie pour subir une douleur nouvelle. La jeune pénitente continua :

— Oui, l’amour qu’il a repoussé, qu’il n’a jamais connu tout entier, que j’avais respiré dans ses discours, que mes yeux avaient puisé dans ses regards célestes, que ses conseils mêmes ont accru. Oui, Urbain est pur comme l’ange, mais bon comme l’homme qui a aimé ; je ne le savais pas qu’il eût aimé ! C’est vous, dit-elle alors plus vivement, montrant Lactance, Barré et Mignon, et quittant l’accent de la passion pour celui de l’indignation, c’est vous qui m’avez appris qu’il aimait, vous qui ce matin m’avez trop cruellement vengée en tuant ma rivale par un mot ! Hélas ! je ne voulais que les séparer. C’était un crime ; mais je suis Italienne par ma mère ; je brûlais, j’étais jalouse ; vous me permettiez de voir Urbain, de l’avoir pour ami et de le voir tous les jours…

Elle se tut ; puis, criant : — Peuple, il est innocent ! Martyr, pardonne-moi ! j’embrasse tes pieds ! Elle tomba aux pieds d’Urbain, et versa enfin des torrents de larmes.

Urbain éleva ses mains liées étroitement, et, lui donnant sa bénédiction, dit d’une voix douce, mais faible :

— Allez, ma sœur, je vous pardonne au nom de Celui que je verrai bientôt ; je vous l’avais dit autrefois, et vous le voyez à présent, les passions font bien du mal quand on ne cherche pas à les tourner vers le ciel.