Page:Alfred de Vigny - Cinq-Mars, Lévy, 1863.djvu/90

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torrents de pluie tombaient du ciel. L’obscurité était effrayante ; les cris des femmes glissant sur le pavé ou repoussées par le pas des chevaux des gardes, les cris sourds et simultanés des hommes rassemblés et furieux, le tintement continuel des cloches qui annonçaient le supplice avec les coups répétés de l’agonie, les roulements d’un tonnerre lointain, tout s’unissait pour le désordre. Si l’oreille était étonnée, les yeux ne l’étaient pas moins ; quelques torches funèbres allumées au coin des rues et jetant une lumière capricieuse montraient des gens armés et à cheval qui passaient au galop en écrasant la foule : ils couraient se réunir sur la place de Saint-Pierre ; des tuiles les frappaient quelquefois dans leur passage, mais, ne pouvant atteindre le coupable éloigné, ces tuiles tombaient sur le voisin innocent. La confusion était extrême, et devint plus grande encore lorsque, débouchant par toutes les rues sur cette place nommée Saint-Pierre-le-Marché, le peuple la trouva barricadée de tous côtés et remplie de gardes à cheval et d’archers. Des charrettes liées aux bornes des rues en fermaient toutes les issues, et des sentinelles armées d’arquebuses étaient auprès. Sur le milieu de la place s’élevait un bûcher composé de poutres énormes posées les unes sur les autres de manière à former un carré parfait ; un bois plus blanc et plus léger les recouvrait ; un immense poteau s’élevait au centre de cet échafaud. Un homme vêtu de rouge et tenant une torche baissée était debout près de cette sorte de mât, qui s’apercevait de loin. Un réchaud énorme, recouvert de tôle à cause de la pluie, était à ses pieds.

À ce spectacle la terreur ramena partout un profond silence ; pendant un instant on n’entendit plus que le bruit de la pluie qui tombait par torrents, et du tonnerre qui s’approchait.