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LA BRUYÈRE

ancien cabaretier de Céphalonie, et de sa femme, née dans une cuisine grecque : ces deux aventuriers, curieux d’employer le plus graud roi du monde à soutenir leur crédit personnel auprès du petit monarque oriental, avaient promis tout ce que l’on avait voulu, mais se moquaient avec raison de toutes les querelles religieuses. Le fait était malheureusement vrai : on le vit bien plus tard à la disgrâce du barkalon. Mais, pour compenser ces dépenses, on espérait au moins que le christianisme, une fois prêché à Siam, ne pourrait plus y être détruit. La Bruyère partageait cette espérance, sans doute pour se consoler de la honte qu’il éprouvait de voir prêcher la religion de Jésus-Christ par des apôtres aussi ridicules que l’abbé de Choisy. « Si l’on nous assurait, dit-il (1), que le motif secret de l’ambassade des Siamois a été d’exciter le Roi Très Chrétien à renoncer au christianisme, à permettre l’entrée de son royaume aux Talapoins, qui eussent pénétré dans nos maisons pour persuader leur religion à nos femmes, à nos enfants et à nous-mêmes, par leurs livres ou par leurs entretiens, qui eussent élevé des pagodes au milieu de nos villes où ils eussent placé des figures de métal pour être adorées, avec quelles risées n’entendrions-nous pas des choses si extravagantes ! Nous faisons cependant six mille lieues pour la conversion des Indes, des royaumes de Siam, de la Chine et du Japon, c’est-à-dire pour faire très sérieusement à tous les peuples des propositions qui doivent leur paraître très folles et très ridicules. Ils supportent néanmoins nos religieux et nos prêtres ; ils les écoutent quelquefois, leur laissent bâtir leurs églises et faire leurs missions. Qui fait cela en eux et en nous ? ne serait-ce point la force de la vérité ? » Cette question intéressait fort peu M. de Vendôme. Il tournait alors ses vues d’un autre côté. C’est ce que le marquis de la Fare a très bien raconté dans ses mémoires. « D’abord les princes du sang, dit-il (2), furent assez unis avec M. de Vendôme et avec le grand prieur son frère ; mais cette union ne dura pas longtemps. J’étais depuis quelques années des amis de M. de Vendôme, bien que je fusse de dix années plus vieux que lui ; j’étais aussi parfaitement uni d’amitié avec l’abbé de Chaulieu, pour lors leur favori et entièrement le maître de leurs affaires. Les choses étant en cet état, le roi vint à être gravement malade d’une fistule, et se résolut enfin à l’opération pour ces maux-là, qui pour lors étaient moins communs qu’ils ne le

(1) Chap. xvi, n° 29.

(2) Mémoires de la Fare.