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Page:Allaire - La Bruyère dans la maison de Condé, t. 1, 1886.djvu/83

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lait dans les Pays-Bas, sur les bords du Rhin et dans les montagnes des Vosges. Condé livrait la terrible bataille de Senef ; Créqui perdait celle de Consarbruck ; Turenne, après avoir fait sa belle et dernière campagne d’Alsace, était tué à Salzbach dans le pays de Bade. Pour suppléer aux milices populaires, on avait cru devoir appeler le ban et l’arrière-ban de l’ancienne chevalerie ; et ces gentilshommes, qui dans leurs provinces étaient des matamores comme don Fernand[1], et semblaient prêts à massacrer le genre humain, ne firent point merveille contre les ennemis de la France. On ne les avait pas convoqués depuis Louis XIII. Montés et armés inégalement, tous ou presque tous sans expérience et sans exercice, ils ne voulaient ni ne pouvaient faire un service régulier[2] : ils causèrent beaucoup d’embarras au commandement militaire, et l’on fut dégoûté d’eux pour jamais. « Si la noblesse est vertu, disait la Bruyère[3], elle se perd par tout ce qui n’est pas vertu ; si elle n’est pas vertu, c’est peu de chose. » Qu’était-ce donc que la noblesse de M. le trésorier de France en la généralité de Caen ? Il pourra se procurer comme son oncle la satisfaction honorable de se faire enterrer avec des éperons dorés. Voilà tout.

En attendant, tandis que M. de Romeau faisait ses études de droit pour devenir avocat au parlement, tandis que le jeune Robert de la Bruyère faisait ses études pour se préparer à la cléricature, l’aîné de la famille, avec sa modeste fortune et sa modeste noblesse, aurait pu faire un bon et honnête mariage ; mais il ne voulut pas s’exposer, comme son père et son grand-père[4], aux embarras d’une nombreuse famille ; et d’ailleurs, comme son oncle, il tenait trop à son indépendance. « Un homme libre et qui n’a point de femme[5], s’il a quelque esprit, peut s’élever au-dessus de sa fortune, se mêler dans le monde et aller de pair avec les plus honnêtes gens. Cela est moins facile à celui qui est engagé : il semble que le mariage met tout le monde dans son ordre. »

On voit que la Bruyère ne manquait pas d’ambition. Quels étaient ses projets ? que faisait-il alors à Paris ? Son apprentissage du métier d’écrivain.

  1. Chap. xi, n° 129.
  2. Voltaire, Siècle de Louis XIV.
  3. Chap. xiv, n° 15.
  4. Chap. vi, n° 61.
  5. Chap. ii. n° 25.