Page:Allais - À l’œil.djvu/241

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La cour d’une maison que j’habitais autrefois était régulièrement, chaque dimanche matin, visitée par un homme âgé qui, s’accompagnant d’une guitare aphone et mal accordée, chantait — de quel organe ! — une vieille romance dont le refrain commençait par ces mots :


Ah ! que Venise est belle !


Ce vieillard chantait faux, mais il disait juste.

Impossible, en effet, de rêver quelque chose de plus beau que cette Venise adorable et superbe !

Jusqu’à présent, je m’étais toujours farouchement refusé à croire à l’existence réelle et géographique de Venise.

Maman m’avait si souvent endormi, tout petit, avec le Chant des gondoliers, j’en avais tant lu dans les romans, tant entendu dans les opéras, tant contemplé sur les dessus de boîte en nacre que Venise demeurait pour moi cité de songe.

Ce n’est qu’à la gare même et devant un employé de l’octroi (habiter Venise et être employé de l’octroi !) que mes convictions s’ébranlèrent un peu.

Et quand un facchino eut embarqué mon