Page:Allais - À l’œil.djvu/44

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jeter dans les bras d’une drôlesse quelconque.

Leur plan réussit. La fille était superbe, très forte quoique toute jeune, avec une bouche rouge et charnue et des yeux à fleur de tête, des grands yeux de vache à l’herbage.

L’image de la chère morte ne me quittait pas, mais si vague, si estompée dans le lointain bleu de mes souvenirs, que je n’en étais pas trop cruellement obsédé.

Les vins généreux, l’odeur et les parfums des femmes avaient réveillé chez moi la bête, la bête brutale et sale qui, longtemps assoupie dans mon être, se dédommageait enfin.

Et puis, au matin, un écœurement m’était monté, douloureux, irrémédiable. La honte de ma lâcheté me fit sortir de chez la fille si brusquement qu’elle crut à un accès de folie. Toute la journée, je me promenai fiévreusement, tâchant d’oublier mon ignominie. Peine perdue.

Toujours devant moi, se dressait le pâle fantôme d’Ellen dont l’expression de cruel reproche me navrait à en pleurer. Avec le soir, mon inquiétude devint plus terrible et plus précise. Je n’osais rentrer chez moi, tant je croyais être sûr d’y trouver la chère trahie.

Aussi, en pénétrant dans mon appartement, je fus moins surpris qu’épouvanté.

Ellen était là, me tournant le dos, assise