Page:Allais - À l’œil.djvu/88

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— Je me suis bien amusé à les compter jusqu’à douze, me disait-il, et puis, après douze, zut ! Ça fait ce que ça fait !… Tout ce que je peux vous dire, c’est que j’en suis étoré !

(Étoré est un vieux mot de par ici, qui signifie : largement approvisionné).

Donc, Marcel est étoré de sauvetages et de condamnations, ces dernières portant honnêtement sur des faits d’intempérance, de tapage, de sollicitation importune de voyageurs (Marcel exerce les fonctions de commissionnaire public, et s’empare quelquefois de la valise de certains voyageurs qui, pour des raisons ne regardant qu’eux, ne tiennent point à s’en dessaisir).

C’est égal, vous reconnaîtrez qu’être fourré en prison trois jours après avoir sauvé la vie d’un de ses semblables, au risque de sa propre peau, c’est plutôt raide !

Marcel prit la chose, lui, avec sa coutumière philosophie, et c’est sans la moindre amertume qu’il dit à un groupe d’enfants réunis autour de lui et du gendarme : « Vous entendez bien, les petits, tâchez de ne pas vous f…re à l’eau d’ici samedi, parce que Marcel ne serait point là pour vous repêquer. »

Cette réflexion si judicieuse de Marcel m’ouvrit de larges horizons.