— Oui, répondit-il, mais tout cet infortuné pétrole qu’il faudra brûler ! Et tout ce malheureux coke !
Un individu qui chérit à ce point les chèvres des Champs-Élysées et la gazoline ne peut demeurer indifférent, vous le devinez sans peine, au sort des pêcheurs à la ligne.
Il n’osait plus passer sur les quais, tellement la contemplation de ces pauvres êtres l’affligeait au plus creux du cœur.
Au fond, il en voulait beaucoup aux poissons de ne pas mettre plus d’entrain à mordre à la ligne des pêcheurs parisiens.
Il aimait mieux les pêcheurs que les poissons, voilà tout.
Un beau jour, n’y pouvant tenir, il alla trouver le Captain Cap.
— Captain, j’ai un gros service à vous demander ?
— C’est déjà fait, répondit Cap avec sa bonne grâce coutumière.
— Prêtez-moi un scaphandre !
— Mousse, clama Cap de sa voix de commandement, apporte un scaphandre à monsieur.
(Le Captain Cap, qui fut longtemps président du conseil d’administration de la Société métropolitaine des scaphandriers du Cantal, détient encore un grand nombre de scaphandres, provenant sans doute de détournements.)
Et depuis ce moment, chaque matin, notre ami se rend aux Halles, acquiert une forte provision de poissons de toutes sortes, qu’il insère en un vaste bac, lesté de pierres.
Il revêt son scaphandre, et le voilà parti, passant sa journée à accrocher des carpes, des tanches, des brochets aux hameçons des pêcheurs étonnés et ravis.
Parfois, à l’idée du plaisir qu’il cause là-haut, des larmes de bonheur lui viennent aux yeux. Il s’essuie avec son mouchoir, sans réfléchir qu’on n’a pas besoin d’essuyer ses yeux quand on est au fond de l’eau.
L’autre jour, il connut le désappointement de ne trouver aux Halles aucune sorte de poisson ni d’eau douce, ni d’eau de mer.
Il en fut réduit à accrocher aux lignes de ses amis des sardines à l’huile et des harengs saurs, et détermina ainsi une pêche qui plongea tous les ichthyographes du quai de la Mégisserie dans une vive stupeur.