Page:Allais - En ribouldinguant.djvu/128

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montait chez lui, tout en haut de la rue Lepic.

— Et ça va toujours bien ? dis-je.

— Tout à fait bien. Et toi ?

— Triomphalement !

— C’est vrai. Tu as une mine superbe, avec un air de ne pas t’embêter autrement dans la vie.

— Pas lieu de m’embêter en ce moment. Si ça pouvait durer !… Et ta petite compagne ?

— Tout à fait mieux.

— Tu ne te livres plus à la peinture à l’iode sur son jeune corps ?

— Oh ! oui, c’est vrai !… Je ne pensais plus qu’elle t’avait raconté cette histoire… Eh bien ! mon vieux, c’est épatant, ce que c’est devenu ! La teinture d’iode s’est évaporée, mais les endroits où j’avais peint les fleurs sont restés d’un rose vif et chaud qui s’enlève si joliment sur le rose pâle de sa peau ! Tu n’as pas idée, mon garçon, de ce que c’est exquis ! Et d’un délicat ! et d’un distingué ! Si Jansen voyait ça…

— Quel Jansen ?

— Le tapissier de la rue Royale, qui vend de si jolis meubles anglais, Si Jansen voyait ça, il en deviendrait fou et me commanderait, sur l’heure, une étoffe dans ces deux tons-là pour chambre de jeune fille… Tiens, viens la voir !

— Mais… sa pudeur ? fis-je avec le doux sourire du sceptique endurci.

— Sa pudeur ?

Et mon ami prononça ce mot pudeur sur un ton correspondant exactement à mes idées.

(Je n’insiste pas, dans la crainte de désobliger quelques bourgeois du Marais, à l’estime desquels j’ai la faiblesse de tenir.)

Son atelier se compose d’un ancien immense grenier, éclairé par un vitrage grand comme le Champ de Mars, et dans le coin duquel (grenier) s’aménage la chambre du jeune peintre et de sa petite amie.

— Comme ça sent le goudron, ici ! reniflai-je en entrant.

— Oh ! ne fais pas attention ! C’est Alice qui se sert pour sa toilette de l’eau de chez Bobœuf, très délicieuse mais qui sent un peu le goudron.

— Ah !

— Oui !

Un grand ennui venait de se peindre sur la figure de mon ami. Évidem-