Page:Allais - En ribouldinguant.djvu/21

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— M… !

— Bon, j’y vais moi-même.

Et comme Lapouille se disposait à pénétrer, le factionnaire dut croiser la baïonnette et appeler à la garde.

— Sergent, reprit Lapouille, allez dire au gouverneur de Paris qu’il y a quelqu’un en bas qui le demande.

On essaya de parlementer avec Lapouille, de le raisonner, de l’envoyer se coucher. Rien n’y fit. Lapouille ne sortait pas de là, il tenait à voir le gouverneur de Paris.

Un officier, attiré par le bruit, perdit patience :

— F…-moi cet homme-là au bloc, on verra demain.

Le lendemain, dès le petit matin, le poste retentissait des clameurs de Lapouille.

— Le gouverneur de Paris ! le gouverneur de Paris ! J’ai quelque chose de très important à communiquer au gouverneur de Paris.

C’était peut-être vrai, après tout. Et puis, qu’est-ce qu’on risquait ?

Donc, le gouverneur de Paris fit venir Lapouille dans son bureau :

— C’est vous qui tenez tant à me voir, mon ami ? De qui s’agit-il ?

— Voici, mon gouverneur : Mon colonel m’a envoyé à Paris pour astiquer le dôme des Invalides. Or, j’ai oublié mon tripoli et je n’ai pas d’argent pour en acheter. Alors, je viens vous demander de me fournir du tripoli, ou alors de me renvoyer dans mon régiment chercher le mien.

Ce petit discours fut débité sur un ton tellement sérieux, que Lapouille, avec tous les égards dus à son rang, était amené au Val-de-Grâce, dans un assez bref délai.

Là, il ne se démentit pas d’une semelle. Il répéta aux médecins son histoire de l’astiquage du dôme des Invalides, sa pénurie de tripoli, et la crainte qu’il éprouvait d’être attrapé par son colonel.

Il fut mis en observation. Un mois après, il était réformé.

De temps en temps, je le rencontre, ce brave Lapouille, et il ne manque jamais de me dire :

— Crois-tu qu’ils en ont une couche, hein ?