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n’a pas dégrisé pendant les deux ou trois ans qu’il passa à Paris.

Et le reste à l’avenant.

Le malheur, c’est que le capitaine Flambeur avait meilleure mémoire que moi et me mettait parfois dans un cruel embarras.

— Tiens, s’écriait-il tout haut, voilà Pasteur qui entre !… Hé ! Pasteur, un vermout avec nous, hein ?

Régulièrement, Pasteur acceptait le vermout, à condition que ce fût une absinthe.

Pardon, Zola ! Pardon, Bourget ! Pardon, Pasteur ! Et pardon tous les autres, littérateurs, poètes, peintres, savants, membres de l’Institut ou pas !

Un jour, au tout petit matin…

(Étions-nous déjà levés, ou si nous n’étions pas encore couchés ? Cruelle énigme !)

Un jour, au tout petit matin, nous passions place Clichy, sur laquelle se dresse la statue du général Moncey (et non pas Monselet, comme prononce à tort ma femme de ménage).

Le piédestal de cette statue est garni d’un banc circulaire en granit, sur lequel des vagabonds s’étalent volontiers pour reposer leurs pauvres membres las.

Un nécessiteux dormait là, accablé de fatigue.

Son chapeau avait roulé à terre, un ancien chapeau chic, de chez Barjeau, mais devenu tout un poème de poussière de crasse.

Et, au fond du chapeau, luisaient encore, un peu éteintes, deux initiales : A. D.

— Tenez, capitaine Flambeur, regardez bien ce bonhomme-là. Je vous dirai tout à l’heure qui c’est.

— Qui est-ce ?

— Alphonse Daudet.

— Alphonse Daudet !… Celui qui a fait Tartarin de Tarascon ?

— Lui-même !

— C’est vrai, pourtant. Voilà son chapeau avec ses initiales… Ah ! le pauvre bougre !… Mais il ne gagne donc pas d’argent ?