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L’ARROSEUR

qui ne laissaient aucun doute… J’allais les avoir comme compagnes de route.

Toute une semaine à voir, plusieurs fois par jour, les grands yeux noirs très à la rigolade de la petite miss !

Tout de suite, j’espérai qu’on enverrait la vieille outarde au lit, de bonne heure, alors que, très tard, la petite miss et moi nous dirions des bêtises dans les coins.

Cependant, se poursuivait la conversation des deux dames.

L’outarde était d’avis qu’on allât tout de suite après dîner au paquebot et qu’on se couchât bien tranquillement.

Miss Minnie (car enfin, voilà deux heures que je vous parle de cette jeune fille sans vous la présenter), miss Minnie disait d’un air résolu :

— Oh ! pas tout de suite, coucher ! Allons faire une petite tour avant embarquer !

— On ne dit pas une petite tour, mais on dit un petit tour.

— Pourtant on dit la tour Eiffel.

— Ce n’est pas la même chose. Dans le sens de monument, tour est du féminin ; dans le sens de promenade, ce mot est masculin.

Les questions de philologie m’ont toujours passionné, et je crois détenir, en cette partie, quelques records.

— Pardon, mademoiselle, intervins-je, la règle que vous venez de formuler n’est pas sans exception. Tour, dans le sens du voyage, n’est pas toujours masculin.

Les yeux de l’outarde s’arrondirent encore, interloqués.

— Il est masculin pour tous les pays, sauf le Cantal, le Puy-de-Dôme et la Haute-Loire.

Du coup, ces dames eurent un léger frisson de terreur. J’étais, sans nul doute, un fou, peut-être furieux, si on le contrariait.

— Parfaitement ! insistai-je. Ainsi, l’on dit le tour de France, le tour du monde, mais on dit la tour d’Auvergne.