Aller au contenu

Page:Allais - L’Arroseur.djvu/110

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
108
L’ARROSEUR

Il n’eut pas le temps de finir.

Une jeune femme en grand deuil passait lentement.

Vous avez probablement, mesdames et messieurs, vu, à de fréquentes reprises, passer des jeunes femmes en grand deuil. Je doute que vous en ayez seulement aperçu une capable de dénouer les cordons des souliers de celle-là !

Ah ! mes pauvres amis, la jolie femme en deuil !

L’amour, comme la foudre, et aussi comme le génie, procède volontiers par brusques lueurs.

Ce fut le cas.

Le jeune spleenétique, sans se donner la peine de terminer son sherry-gobbler, se précipita sur les traces de cette jeune femme blonde (ai-je dit qu’elle était blonde ?) Ses traits (au jeune homme) s’étaient modifiés du tout au tout ! Il rayonnait de bonheur espéré !

Très poliment, son chapeau à la main, il aborda la petite dame et lui dit :

— Pardon, madame, je crois m’apercevoir que vous êtes en deuil.

— Votre remarque est on ne peut plus juste.

— Serait-ce point de votre défunt mari ?

— De lui-même, monsieur.

— Ah ! je respire !… Alors, madame, une seule ressource nous demeure à tous les deux : c’est de nous épouser dans les délais légaux.

— Mon Dieu, monsieur, cette proposition n’a rien qui me répugne particulièrement, j’y réfléchirai.

— Non, madame, pas de réflexion. Votre parole tout de suite !

— Eh bien ! soit, nous nous marierons dans huit mois.

— Huit mois ! Comme c’est long !

— Ah ! dame, si vous voulez obtenir qu’on change la loi !…