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L’ARROSEUR

« Mon chéri, disait-elle, mon toujours chéri, mon jamais oublié, je m’embête tellement dans ce sale cochon de pays que la plus mince diversion, fût-ce une visite de toi, me ferait plaisir. Viens donc enterrer cette niaise année 95 avec moi. Nous boirons à la santé de nos souvenirs, j’ai comme un pressentiment qu’on ne s’embêtera pas.

« Celle qui n’arrêtera jamais d’être Ta

« Charlotte.
« 158, rue de Pontoise, Anvers. »

— Anvers ! me récriai-je. Qu’est-ce qu’elle peut bien fiche à Anvers, cette pauvre Charlotte ? À la suite de quelles ténébreuses aventures s’est-elle exilée dans les Flandres ?

Oui, mais faut-il qu’elle m’adore, tout de même, pour n’hésiter point à me faire exécuter cette longue route, dans sa joie de me revoir !

Le lendemain, à midi quarante, je m’installais dans un excellent boulotting-car du train de Bruxelles.

À sept heures trente-neuf, je débarquais à Anvers, salué par l’unanime rugissement des fauves du Zoologique, sans doute avisés de ma venue par l’indiscrétion d’un garçon.

— Cocher, 158, rue de Pontoise !

Après un court silence, le cocher me pria de réitérer mon ordre :

— 158, rue de Pontoise.

Une mimique expressive m’avertit de l’ignorance où croupissait l’automédon anversois relativement à la rue de Pontoise. Et même il ajouta :

— Ça existe pas !

Ses collègues, consultés, branlèrent le chef d’un air qui ne me laissa aucun doute.

Un garde-ville (c’est leur façon de baptiser là-bas les gens de police), m’assura que la rue de Pontoise n’existait pas à Anvers,