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L’ARROSEUR

Chaque fois que j’aperçois Colydor, tout mon être frémit d’allégresse jusque dans ses fibres les plus intimes.

— Bon, me dis-je, voilà Colydor, je ne vais pas m’embêter.

Pronostic jamais déçu.

Hier, j’ai reçu la visite de Colydor.

— Regarde-moi bien, m’a dit mon ami, tu ne me trouves rien de changé dans la physionomie ?

Je contemplai la face de Colydor et rien de spécial ne m’apparut.

— Eh bien, mon vieux, reprit-il, tu n’es guère physionomiste. Je suis marié.

— Ah bah !

— Oui, mon bonhomme. Marié depuis une semaine. Encore mille à attendre et je serai bien heureux !

— Mille quoi ?

— Mille semaines, parbleu !

— Mille semaines ? À attendre quoi ?

— Quand je perdrais deux heures à te raconter ça, tu n’y comprendrais rien !

— Tu me crois donc bien bête ?

— Ce n’est pas que tu sois plus bête qu’un autre, mais c’est une si drôle d’histoire !

Et, sur cette alléchance, Colydor se drapa dans un sépulcral mutisme. Je me sentais décidé à tout, même au crime, pour savoir.

— Alors, fis-je de mon air le plus indifférent, tu es marié…

— Parfaitement.

— Elle est jolie ?

— Ridicule.

— Riche ?

— Pas un sou.

— Alors quoi ?