Page:Allais - L’Arroseur.djvu/49

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
47
L’ARROSEUR

« Il est certain que ces humbles parallélépipèdes de terre cuite ne sauraient constituer une alimentation facile et profitable. Toutefois, la phrase sonnait funèbrement à mon oreille, plus funèbrement encore que cette autre : « Tu sais, j’en ai soupé, de ta fiole ! » qui revenait en ses propos avec une égale fréquence.

« Hier, ma douce amie s’était montrée particulièrement nerveuse et insupportable. J’avais eu le tort de lui payer à déjeuner le matin, et comme l’appétit vient en mangeant, elle avait la prétention de dîner !

« En proie à ses gourmandes préoccupations, Angélique grognait entre ses dents :

« Tu sais, j’en ai soupé, de ta fiole ! »

« Très embêté, j’eus l’envie de la gifler.

« Toutefois, — Messieurs de la cour, Messieurs les jurés, notez ce détail — j’eus assez de force pour dissimuler. J’observai même, spirituellement :

« — Puisque tu as soupé de ma fiole, tu ne dois plus avoir faim !

« Loin de se rendre à l’évidence de ce délicat à-propos, elle monologua lentement :

« — Je ne peux pourtant pas me caler les joues avec des briques !

« Voilà ce que je craignais.

« Le hasard voulut que mes yeux se portassent sur les briques qui forment la base de ma fenêtre. Parmi elles, deux ne tenaient plus que par la force de l’habitude, insuffisamment scellées par un frivole ciment qui s’effritait chaque jour davantage.

« Et la malheureuse répétait toujours la phrase fatale.

« Alors, je vis rouge (rouge brique, naturellement).

« — Soit ! fis-je, résigné. Il le faut…