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L’ARROSEUR

Gertrude exultait et Mme  de Puyfolâtre ne savait se défendre d’un rayonnement intérieur.

Le beau vitrier, une fois accomplie sa tâche, reprit le cours de ses narrations héroïques et pénétra plus avant encore dans le cœur des deux femmes.

Dès lors, ce fut une habitude hebdomadaire ; tous les mardis, pan, un carreau cassé.

Cela coûtait à Mme  de Puyfolâtre 104 francs par an, et 52 bouteilles d’excellent vin, mais qu’importe ? le bonheur ne se paye-t-il pas comme le reste, sur cette terre ?

Un mardi, Mme  de Puyfolâtre crut s’apercevoir de quelque chose, et ma Gertrude fut immédiatement invitée à s’enquérir d’une autre place.

La belle veuve se sentait tellement outrée qu’elle préféra payer les huit jours à cette fille plutôt que de le garder une minute de plus.

Vif fut l’étonnement du vitrier en, le mardi suivant, ne retrouvant pas Gertrude :

— Tiens ! vous avez donc changé de bonne ?

— Oh oui ! Et il n’était pas trop tôt ! Une fille sale, menteuse, voleuse, gourmande. Et une conduite !… Tous les sergents de ville du quartier y ont passé.

— Ah !… On n’aurait pas cru ça à la voir… Alors, c’est votre nouvelle bonne qui a cassé ce carreau-là ?

Une pudeur virginale embrasa le joli visage de Mme  de Puyfolâtre et c’est les yeux baissés qu’elle répondit :

— Non… c’est moi !

Quel aveu que cette pourpre !

Le vitrier comprit tout.

Il effila sa longue moustache et répondit bêtement (mais il se comprenait…) :

— Moi aussi, madame… depuis longtemps.