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L’ARROSEUR

sans conduite qu’on appelle la Môme-Pipi. Une nuit, le pauvre gentilhomme apoplectique succomba dans les bras de cette sirène enrouée, au troisième étage d’un garni de la rue Lamarck (XVIIIe arrondissement).

Très fin-de-siècle, Gaston fit un joli cadeau à la Môme-Pipi, organisa de décentes funérailles à son oncle Loys et ne connut point de répit que sa petite fortune n’eût passé dans les mains, moitié de cocottes, moitié de grecs.

— Quand je n’aurai plus d’argent, se disait-il, avec la philosophie de la vingt-cinquième année, je me ferai sauter le caisson.

L’heure arriva, plutôt qu’à son tour, et le caisson ne sauta pas.

Est-ce qu’on se fait sauter le caisson quand il fait ce temps-là ! (Car je crois avoir fait observer plus haut que c’était le printemps.)

Gaston de Puyrâleux en était là de ses réflexions, quand il rencontra sur le Boulevard un gros homme qu’il avait connu au Tréport.

— Tiens, monsieur de Puyrâleux !… Comment allez-vous ?

— Très bien, je vous remercie… c’est-à-dire, quand je dis très bien, vous savez…

— Seriez-vous souffrant ?

— Non, mais…

Et Gaston narra au gros homme sa triste situation.

Le gros homme se trouvait être, détail ignoré de Gaston, un fort entrepreneur d’arrosage de la ville de Paris. Il compatit vivement à la détresse du jeune homme.

— Si j’osais vous offrir une place dans mes bureaux ?

— Oh ! les bureaux, vous savez, ça n’est pas beaucoup mon affaire.

— Je ne peux pourtant pas vous proposer de mener un tonneau d’arrosage.