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CHAPITRE XXXVIII.


La propriété, comme l’esclavage, fut établie par la nécessité. Sans la propriété, point d’ordre ; ce sont de ces lois relatives fondées sur un intérêt public antérieur à la justice.

En France, quand la propriété fut devenue trop nuisible à la société, on viola ses droits ; et en effet comment convaincre long-temps un peuple intelligent en lui disant : — J’aurai tout et vous rien, parce que mon père avait tout et le vôtre rien. — Le peuple a fait un raisonnement contraire, et Dieu depuis n’a pas maudit ses moissons, Dieu n’a pas refusé la pluie du ciel ni la chaleur du jour. En partageant ainsi la propriété on l’a raffermie, car le peuple ne cherche jamais une rigoureuse justice : si on l’attaque encore, ce sera pour la modifier et remédier à des inconvéniens inévitables.

Ainsi le négociant, le banquier, l’homme qui n’a besoin que d’un esprit ordinaire, fera facilement fortune, et Corneille et Rousseau resteront pauvres. Les dons les plus précieux de la nature sont ceux qui acquièrent à l’homme le moins de pouvoir matériel. La société doit ici intervenir. Si les ouvrages immortels, au lieu d’enrichir les libraires, formaient un fonds commun pour les lettres ; si la société ne se croyait pas quitte envers ses bienfaiteurs par un enchantement passager, le monde en irait mieux. Les aristocraties se sont constituées des richesses éternelles ; l’aristocratie du talent doit avoir la sienne indépendante du sort.

Chose singulière ! Les gouvernemens ont fait des pensions aux hommes de génie : ainsi le souverain a cru payer, et c’était le souverain qui était payé, puis-