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de mots et de tournures qui déparent notre langue, parlée ou écrite ? Les « Dictionnaires du bon langage » qui se multiplient, les efforts des « Sociétés du parler français » pour corriger notre langage pénétré d’anglais, le charabia qu’on peut relever dans la plupart des journaux, ne constituent-ils pas la preuve évidente qu’il est dangereux de fréquenter une seconde langue avant d’avoir une bonne connaissance de sa langue maternelle ? Or, l’école canadienne-française a plus que toute autre le devoir de veiller à la première formation de la langue maternelle des petits. Le réveil consolant qui s’est fait chez nous depuis d’assez nombreuses années déjà, pour encourager l’étude plus soignée du français, pour épurer la langue des anglicismes qui la déparent, pour enrichir notre vocabulaire français, fait assez comprendre que l’école des petits a mieux à faire pour leur éducation que de mener de front l’étude de deux langues dont la seconde envahit déjà et corrompt la principale.

Et notre vocabulaire français est assez pauvre pour embarrasser ceux qui ont à parler ou à écrire, et pour attirer fortement l’attention des Français de France qui nous en marquent leur surprise. L’éducation première donnée à l’école doit réagir contre ce déplorable état de choses au lieu d’accentuer la cause qui le produit.

En discutant les questions d’éducation on entend souvent, quoique bien à tort, parfois, invoquer l’exemple des autres provinces ou des autres pays. Eh bien, regardons ici, si nous n’avons pas quelque exemple à utiliser. Y a-t-il un pays au monde, en dehors des pays persécuteurs d’une minorité, où l’autorité scolaire va mettre deux langues au même rang à la petite école ? Nos compatriotes des autres provinces luttent en désespérés pour obtenir que leurs enfants aient le droit de se développer d’abord dans leur propre langue. Ils subissent en quelques endroits un autre régime, mais à contre-cœur. Les persécuteurs de tout pays tiennent à donner dès le premier stage scolaire, l’enseignement de la langue destinée à supplanter l’autre et à façonner les esprits dans leur moule. Leur raison est celle qu’apporte le mémoire des professeurs de Montréal : le cerveau plus tendre de l’enfant reçoit mieux le cachet qu’on veut lui imprimer. Les Anglais des rares parties du pays qui ont songé à enseigner le français dans leurs écoles, n’ont nullement eu l’idée de le faire avant la troisième année du cours. La Belgique, pays qu’on n’accusera pas d’être arriéré et sans expérience, pays bilingue, met l’enseignement de la seconde langue facultatif pendant toute la durée de l’école élémentaire : il ne devient obligatoire qu’à l’école complémentaire. La raison est toujours la même : l’enfant ne se développera bien que par sa langue maternelle ; une fois en possession d’une bonne formation, il acquerra plus facilement, et sans danger pour la conservation de sa personnalité propre, la connaissance d’une autre langue.