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L’AVIATEUR INCONNU

Mais Elvire tenait bon ; elle était non moins têtue que son père, nous le savons ; comme lui, elle obéissait docile­ment à l’idée fixe. Et Félix Bergemont, averti par la voix de la nature, discerna que le soupçon était ancré dans l’âme de sa fille… Il n’y tint plus : assénant sur la table un coup de poing retentissant, il dit avec un surcroît d’emportement :

— Bon ! bon ! c’est bien ! tu prétends que je me désinté­resse du dommage qu’on t’inflige, tu ne crains même pas d’avancer que ton persécuteur est dirigé par moi… je saurai te prouver que si je persiste à souhaiter pour gendre un aviateur, je ne suis ni assez sot ni assez misérable pour provoquer sa recherche ! Plus un mot sur ce sujet… je vais travailler à ma revanche et à ta confusion !

Il est aisé à comprendre que cette algarade eut pour immédiate conséquence de faire régner, à la villa Cypris, une gêne sensible entre ceux qui y résidaient. Une fois de plus, les lois de l’hérédité avaient triomphé des raisons de sentiment ; l’identité de caractère chez le père et la fille s’avérait plus impérieuse que leur mutuelle affection, tant il est vrai que, trop souvent, c’est la tête qui gouverne le cœur.

Félix Bergemont, extrêmement froissé des allusions d’Elvire, blessé dans son amour-propre, ne savait à quoi attribuer une colère aussi imprévue. Sa fille, naguère toute pondération, experte à effacer les impressions mauvaises, sa fille, arbitre de la paix familiale, venait de se méta­morphoser en accusatrice pleine de rigueur ! Où était-il le temps des sereines médiations, lorsque quelque mésintel­ligence divisait les deux frères ? Aujourd’hui, Elvire, aban­donnant la branche d’olivier, se hérissait en fagot d’épines… Plus de sourires indulgents, plus de paroles conciliantes, mais des mots cinglants et des regards furibonds… Le malheureux Félix, peu habitué à ces rigueurs, maudissait la versatilité féminine dont il éprouvait les injustes cruautés.

Est-ce à dire qu’il regrettait de s’être engagé dans un mauvais chemin en prônant l’aviation et les aviateurs ?