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L’AVIATEUR INCONNU

bientôt, chacun retrouvait le sourire. Elle n’imposait jamais son autorité, mais l’exerçait avec une douceur insinuante qui triomphait des mines les plus renfrognées. Auprès des domestiques, elle avait le talent de faire admettre les caprices de Félix Bergemont et les fantaisies de Tristan ; elle réussissait à dérider Noémi dans les moments difficiles, elle était la fée du logis. Aussi chacun l’adorait-il et ne faisait-on rien sans la consulter tout d’abord. Son père, frappé de bonne heure par le veuvage, retrouvait en elle une maîtresse de maison incomparable, une confidente, une amie. Et quant à l’oncle Tristan, il ne jurait que par Elvire, il lui était reconnaissant d’écouter, sans témoigner de lassitude, ses dissertations sur ses auteurs préférés. Lorsqu’il éprouvait le besoin de criti­quer son frère, Elvire enregistrait ses doléances, de même qu’elle recevait les plaintes de Bergemont cadet à l’endroit de Bergemont aîné. Tout cela, bien entendu, sans témoigner la moindre partialité et même y attacher la moindre importance.

Au physique, Elvire était grande, mince, élégante mais très simple en sa mise, ce qui est le suprême cachet de la distinction. Les cheveux blonds cendrés, les yeux noisette, le teint d’un rose qui ne provenait d’aucune petite boîte, elle avait un visage délicat, infiniment sympathique. Si l’on eût interrogé son père, il eût déclaré, en confidence, que son unique défaut était d’avoir dix-neuf ans… car cet âge est celui auquel le mariage se dessine et les deux Bergemont, bien que le bonheur d’Elvire fût leur raison de vivre, songeaient avec épouvante à l’inévitable sépara­tion. Que deviendraient-ils, privés de leur affectueux arbitre, comment se dirigeraient-ils sans cette rassurante clarté. Félix et Tristan Bergemont, en continuelles divisions, ne tombaient d’accord que sur un principe : il ne faut pas qu’une fille se marie trop jeune ; il faut qu’elle connaisse l’existence avant de prendre des engagements définitifs, sinon Dieu sait à quoi elle s’expose !

Heureusement pour eux, ils habitaient toute l’année Pourville, qui est un village très agréable et mouvementé pendant la période balnéaire, mais le reste du temps, fort peu fréquenté. À partir de fin septembre, le père et l’oncle d’Elvire commençaient de se sentir plus à l’aise ; contrairement à l’opinion générale, ils ne ressentaient de