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GASPARD DE LA NUIT

plusieurs mois de répondre. — Un soir qu’à la fumée d’une lampe je fossoyais le poudreux charnier d’un bouquiniste, j’y déterrai un petit livre en langue baroque et inintelligible, dont le titre s’armoriait d’un amphistère déroulant sur une banderole ces deux mots : GottLiebe. Quelques sous payèrent ce trésor. J’escaladai ma mansarde, et là, comme j’épelais curieusement le livre énigmatique, devant la fenêtre baignée d’un clair de lune, soudain il me sembla que le doigt de Dieu effleurait le clavier de l’orgue universel. Ainsi les phalènes bourdonnantes se dégagent du sein des fleurs qui pâment leurs lèvres aux baisers de la nuit. J’enjambai la fenêtre, et je regardai en bas. O surprise ! rêvais-je ? Une terrasse que je n’avais pas soupçonnée aux suaves émanations de ses orangers, une jeune fille vêtue de blanc qui jouait de la harpe, un vieillard vêtu de noir qui priait à genoux ! — Le livre me tomba de la main.