Page:Aloysius Bertrand - Gaspard de la nuit, édition 1920.djvu/21

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grèbe ! Que de fois j’ai étoilé d’une bougie les grottes souterraines d’Asnières où la stalactite distille avec lenteur l’éternelle goutte d’eau de la clepsydre des siècles ! Que de fois j’ai hurlé de la corne, sur les rocs perpendiculaires de Chèvre-Morte, la diligence gravissant péniblement le chemin à trois cents pieds au-dessous de mon trône de brouillards ! Et les nuits mêmes, les nuits d’été, balsamiques et diaphanes, que de fois j’ai gigué comme un lycanthrope autour d’un feu allumé dans le val herbu et désert, jusqu’à ce que les premiers coups de cognée du bûcheron ébranlassent les chênes ! Ah ! monsieur, combien la solitude a d’attraits pour le poète ! j’aurais été heureux de vivre dans les bois et de ne faire pas plus de bruit que l’oiseau qui se désaltère à la source, que l’abeille qui picore à l’aubépine et que le gland dont la chute crève la feuillée !…

— Et l’art, lui demandai-je ?

— Patience ! l’art était encore dans les