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PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS TIGES OU FEUILLES

l’arbuste qui produit le thé, Linné le nomma Thea sinensis. Bientôt après, dans la seconde édition du Species plantarum, il crut mieux faire en distinguant deux espèces, Thea Bohea et Thea viridis, qu’il croyait répondre à la distinction commerciale des thés noirs et verts. On a prouvé depuis qu’il n’y a qu’une espèce, comprenant plusieurs variétés, et qu’on obtient des thés noirs ou verts au moyen de toutes les variétés, selon les procédés de fabrication. Cette question était réglée lorsqu’il s’en est élevé une autre sur la réalité du genre Thea, en tant que distinct du Camellia. Quelques auteurs font du Thea une section de l’ancien genre Camellia ; mais, si l’on réfléchit aux caractères indiqués d’une manière très précise par Seemann[1], il est permis, ce me semble, de conserver le genre Thea, avec la nomenclature ancienne et usitée de l’espèce principale.

On mentionne souvent une légende japonaise racontée par Kæmpfer[2]. Un prêtre venu de l’Inde en Chine, dans l’année 519 de notre ère, ayant succombé au sommeil lorsqu’il voulait veiller et prier, aurait coupé ses deux paupières, dans un mouvement d’indignation, et elles se seraient changées en un arbuste, le Thé, dont les feuilles sont éminemment propres à empêcher de dormir. Malheureusement pour les personnes qui admettent volontiers les légendes en tout ou en partie, les Chinois n’ont jamais entendu parler de celle-ci, quoique l’événement se fût passé chez eux. Le thé leur était connu bien avant l’année 519, et probablement il n’avait pas été apporté de l’Inde. C’est ce que nous apprend le Dr  Bretschneider, dans son opuscule, riche de faits botaniques et linguistiques[3]. Le Pent-sao, dit-il, mentionne le Thé 2700 ans avant Jésus-Christ, le Rya 5 à 600 ans aussi avant Jésus-Christ, et le commentateur de ce dernier ouvrage, au quatrième siècle de notre ère, a donné des détails sur la plante et sur l’emploi de ses feuilles en infusion. L’usage est donc très ancien en Chine. Il l’est peut-être moins au Japon, et s’il existe depuis longtemps en Cochinchine, ce qui est possible, on ne voit aucune preuve qu’il se soit répandu jadis du côté de l’Inde ; les auteurs ne mentionnent aucun nom sanscrit, ni même des langues indiennes modernes. Le fait paraitra singulier quand on verra ce que nous savons à dire sur l’habitation naturelle de l’espèce.

Les graines de Thé se répandent souvent hors des cultures et mettent les botanistes dans le doute sur la qualité spontanée des pieds qu’on a rencontrés çà et là. Thunberg croyait l’espèce sauvage au Japon, mais MM. Franchet et Savatier[4] le nient com-

  1. Seemann, dans Transactions of the linnæan Society, 22, p. 337, pl. 61.
  2. Kæmpfer, Amægn. Japon.
  3. Bretschneider, On the study and value of chinese botanical works, p. 13 et 45.
  4. Franchet et. Savatier, Enum. plant. Jap., I, p. 61.