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LIN

la circonstance que dans ce dernier pays on cultive le Lin seulement pour faire de l’huile, me font croire que deux ou trois espèces d’origine différente, confondues sous le nom de Linum usitatissimum par la plupart des auteurs, ont été cultivées jadis dans divers pays, sans imitation ou communication de l’un à l’autre… Je doute, en particulier, que l’espèce cultivée par les anciens Égyptiens fut l’espèce indigène en Russie et en Sibérie. »

Une découverte très curieuse de M. Oswald Heer, est venue, dix ans après, confirmer mes prévisions. Les habitants des palafittes de la Suisse orientale, à une époque où ils n’avaient que des instruments de pierre et ne connaissaient pas le chanvre, cultivaient déjà et tissaient un lin qui n’est pas notre lin ordinaire annuel, mais le lin vivace appelé Linum angustifolium spontané au midi des Alpes. Cela résulte de l’examen des capsules, des graines et surtout de la partie inférieure d’une plante extraite soigneusement du limon de Robenhausen[1]. La figure publiée par M. Heer montre clairement une racine surmontée de deux à quatre tiges, à la manière des plantes vivaces. Les tiges avaient été coupées, tandis qu’on arrache notre Lin ordinaire, ce qui prouve encore la qualité persistante de la plante. Avec les restes du Lin de Robenhausen se trouvaient des graines du Silene cretica, espèce également étrangère à la Suisse, qui abonde en Italie dans les champs de Lin[2]. M. Heer en a tiré la conclusion que les lacustres suisses faisaient venir des graines de Lin d’Italie. Il semble en effet que ce devait être nécessaire, à moins de supposer jadis un autre climat en Suisse que celui de notre époque, car le Lin vivace ne supporterait pas habituellement aujourd’hui les hivers de la Suisse orientale[3]. L’opinion de M. Heer est appuyée par le fait, assez inattendu, que le Lin n’a pas été trouvé dans les restes lacustres de Laybach et Mondsee, des États autrichiens, qui renferment du bronze[4]. L’époque tardive de l’arrivée du Lin dans cette région empêche de supposer que les habitants de la Suisse l’aient reçu de l’Europe orientale, dont ils étaient séparés d’ailleurs par d’immenses forêts.

Depuis les observations ingénieuses du savant de Zurich, on a découvert un Lin employé par les habitants des tourbières préhistoriques de Lagozza, en Lombardie ; et M. Sordelli a constaté, que c’était celui de Robenhausen, le L. angus-

  1. Heer, Die Pflanzen der Pfahlbauten, br, in-4o, Zurich, 1865, p. 35 ; Ueber den Flachs und die Flachscultur in Altherthum, br. in-4o, Zurich, 1872.
  2. Bertoloni, Flora ital., 4, p. 612.
  3. Nous avons vu qu’il avance vers le nord-ouest de l’Europe, mais il manque au nord des Alpes. Peut-être l’ancien climat de la Suisse était-il plus égal qu’à présent, avec plus de neiges pour abriter les gantes vivaces.
  4. Mittheil. anthropol. Gesellschaft, Wien. vol. 6, p. 122, 161 ; Ahhandt. Wien. Akad., 84, p. 488.