Page:Alphonse de Candolle - Origine des plantes cultivées, 1883.djvu/261

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
347
BANANIER

Humboldt invoque à l’appui du précédent. Ses expressions me conduisent plutôt à une opinion différente[1]. Il s’exprime ainsi dans la traduction française de 1598[2] : « La cause pour laquelle les Espagnols l’ont appelé plane (car les naturels n’avaient point de tel nom) a été, comme ès autres arbres, pour autant qu’ils ont trouvé quelque ressemblance de l’un à l’autre ». Il montre combien le plane (Platanus) des Anciens était différent. Il décrit très bien le Bananier, et ajoute que cet arbre est très commun aux Indes (ici, cela veut dire en Amérique], « quoiqu’ils disent (les Indiens) que son origine soit venue d’Éthiopie… Il y a une espèce de petits planes blancs et fort délicats, lesquels ils appellent en l’Espagnolle[3] Dominique. Il y en d’autres qui sont plus forts et plus gros, et d’une couleur rouge. Il n’en croît point au Pérou, mais on les y apporte des Indes[4], comme au Mexique de Cuernavaca et des autres vallées. En la terre ferme et en quelques îles, il y a des grandes planares, qui sont comme bosquetaux (bosquets) très épais. » Assurément, ce n’est pas ainsi que s’exprimerait l’auteur pour un arbre fruitier d’origine américaine. Il citerait des noms américains, des usages américains. Il ne dirait surtout pas que les indigènes les regardent comme d’origine étrangère. La diffusion dans les terres chaudes du Mexique pourrait bien avoir eu lieu entre l’époque de la conquête et celle où écrivait Acosta, puisque Hernandez, dont les recherches consciencieuses remontent aux premiers temps de la domination espagnole à Mexico (quoique publiées plus tard à Rome), ne dit pas un mot du Bananier[5]. L’historien Prescott a vu d’anciens ouvrages ou manuscrits, selon lesquels les habitants de Tumbez auraient apporté à Pizarre des bananes lorsqu’il débarqua sur la côte du Pérou, et il croit aux feuilles trouvées dans les huacas, mais il ne cite pas ses preuves[6].

Quant à l’argument des cultures faites par les indigènes, à

  1. De Humboldt a cité l’édition espagnole de 1608. La première édition est de 1591. Je n’ai pu consulter que la traduction française de Regnault, qui est de 1598 et qui a tous les caractères de l’exactitude, indépendamment du mérite au point de vue de la langue française.
  2. Acosta, traduction, l. 4, c. 21.
  3. C’est-à-dire probablement à Hispaniola, soit Saint-Domingue, car, s’il avait voulu dire en langue espagnole, on aurait traduit par castillan et sans lettre capitale. Voyez d’ailleurs la page 168 de l’ouvrage.
  4. Il y a ici probablement une faute d’impression pour Andes, car le mot Indes n’a pas de sens dans ce passage. Le même ouvrage dit, page 166, qu’il ne vient pas d’Ananas au Pérou, mais qu’on les y apporte des Andes, et, page 173, que le cacao vient des Andes. Cela signifiait donc les régions chaudes. Le mot Andes a été appliqué ensuite à la chaîne des montagnes, par une transposition bizarre et malheureuse.
  5. J’ai parcouru l’ouvrage en entier pour m’en assurer.
  6. Prescott, Conquête au Pérou, édit. de Baudry, 164, 183. L’auteur a consulté des sources précieuses, entre autres un manuscrit de Montesinos, de 1527, mais il ne cite pas ses autorités pour chaque fait, et se borne à des indications vagues et collectives qui sont loin de suffire.