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PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS GRAINES

ne l’ont pas vue dans les cultures d’Égypte[1]. On ne l’a pas trouvée dans les monuments égyptiens. C’est ce qui m’avait fait supposer[2] que le mot hébreu Kussemeth, qui se trouve trois fois dans la Bible[3], ne devrait pas s’appliquer à l’Épeautre, contrairement à l’opinion des hébraïsants[4], J’avais présumé que c’était peut-être la forme voisine appelée Tr. monococcum, mais celle-ci n’est pas non plus cultivée en Égypte.

L’Épeautre n’a pas de nom en sanscrit ni même dans les langues modernes de l’Inde et en persan[5], à plus forte raison en chinois. Les noms européens, au contraire, sont nombreux et témoignent d’une ancienne culture, surtout dans l’Europe orientale : Spelta en ancien saxon, d’où Épeautre ; Dinkel en allemand moderne ; Orkisz en polonais, Pobla en russe[6] sont des noms qui paraissent venir de racines bien différentes. Dans le midi de l’Europe, les noms sont plus rares. Il faut citer cependant un nom espagnol, des Asturies, Escandia[7], mais je ne connais pas de nom basque.

Les probabilités historiques et surtout linguistiques sont en faveur d’une origine de l’Europe orientale tempérée et d’une partie voisine de l’Asie. Voyons si la plante a été découverte à l’état spontané.

Olivier, dans un passage déjà cité[8], dit l’avoir trouvée plusieurs fois en Mésopotamie, en particulier sur la rive droite de l’Euphrate, au nord d’Anah, dans une localité impropre à la culture. Un autre botaniste, André Michaux, l’avait vue, en 1783, près de Hamadan, ville de la région tempérée de Perse. D’après Dureau de La Malle, il en avait envoyé des graines à Bosc, qui les ayant semées à Paris en avait obtenu l’Épeautre ordinaire ; mais ceci me paraît douteux, car Lamarck en 1786[9] et Bosc lui-même, dans le Dictionnaire d’agriculture, article Épeautre, publié en 1809, n’en disent pas un mot. Les herbiers du Muséum, à Paris, ne contiennent aucun échantillon des céréales dont parle Olivier.

Il y a, comme on voit, beaucoup d’incertitude sur l’origine de l’espèce à titre de plante spontanée. Ceci m’engage à donner plus d’importance à l’hypothèse que l’Épeautre serait dérivé, par la culture, du froment ordinaire, ou serait sorti d’une

  1. Reynier, Écon. des Égyptiens, p. 337 ; Bureau de La Malle, Ann. sc. nat., 9, p. 72 ; Schweinfurtn et Ascherson, l. c. Le Tr. Spelta de Forskal n’est admis par aucun auteur subséquent.
  2. Géogr. bot. raisonnée, p. 933.
  3. Exode, IX, 32 ; Esaie, XXVIII, 25 ; Ezéchiel, IV, 9.
  4. Rosenmüller, Bibl. Alterthumskunde, 4, p. 83 ; Second, trad. de l’Ancien Test, 1874.
  5. Ad. Pictet, Les origines indo-européennes, éd. 2, vol. 1, p. 348.
  6. Ad. Pictet, l. c. ; Nemmich, Lexicon.
  7. Willkomm et Lange, Prodr. fl. hisp., 1, p. 107.
  8. Olivier, Voyage, 1807, vol. 3, p. 460.
  9. Lamarck, Dict. encycl., 2, p. 560.