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CRAN, CRANSON, RAIFORT SAUVAGE

Cette Crucifère, dont la racine d’une consistance assez dure a le goût de moutarde, était appelée quelquefois Cran ou Cranson de Bretagne. C’était une erreur, causée par un ancien nom botanique, Armoracia, qu’on prenait pour Armorica (de Bretagne]. Armoracia est déjà dans Pline et s’appliquait à une Crucifère de la province du Pont qui était peut-être le Raphanus sativus. Après avoir signalé jadis[1] cette confusion, je m'exprimais de la manière suivante sur l’origine méconnue de l’espèce :

« Le Cochlearia Armoracia n’est pas sauvage en Bretagne. C’est constaté par les botanistes zélés qui explorent aujourd’hui la France occidentale. M. l’abbé Delalande en parle dans son opuscule intitulé Hœdic et Houat[2], où il rend compte d’une manière si intéressante des usages et des productions de ces deux petites îles de la Bretagne. Il cite l’opinion de M. Le Gall, qui, dans une Flore (non publiée) du Morbihan, déclare la plante étrangère à la Bretagne. Cette preuve, du reste, est moins forte que les autres, parce que le côté septentrional de la péninsule bretonne n’est pas encore assez connu des botanistes, et que l’ancienne Armorique s’étendait sur une portion de la Normandie où maintenant on trouve quelquefois le Cochlearia sauvage[3]. Ceci me conduit à parler de la patrie primitive de l’espèce.

Les botanistes anglais l’indiquent comme spontanée dans la Grande-Bretagne, mais ils doutent de son origine. M. H.-C. Watson[4] la regarde comme introduite. La difficulté, dit-il, de l’extirper des endroits où on la cultive est bien connue des jardiniers. Il n’est donc pas étonnant que cette plante s’empare des terrains abandonnés et y persiste, au point de paraître aborigène. M. Babington[5] ne mentionne qu’une seule localité où l’espèce ait véritablement l’apparence d’être sauvage, savoir Swansea, dans le pays de Galles. Tâchons de résoudre le problême par d’autres arguments.

Le Cochlearia Armoracia est une plante de l’Europe tempérée, orientale principalement. Elle est répandue de la Finlande à Astrakhan et au désert de Cuman[6]. Grisebach l’indique aussi dans plusieurs localités de la Turquie d’Europe, par exemple près d’Enos, où elle est abondante au bord de la mer[7].

Plus on avance vers l’ouest de l’Europe, moins les auteurs de Flores paraissent certains de la qualité indigène, plus les localités sont éparses et suspectes. L’espèce est plus rare en Norvège

  1. A. de Candolle, Géographie botanique raisonnée, p. 634.
  2. Delalande, Hœdic et Houat, brochure in-8, Nantes, 1850, p. 109.
  3. Hardouin, Renou et Leclerc, Catal. du Calvados, p. 85 ; de Brebissou,. Fl. de Normandie, p. 25.
  4. Watson, Cybele, I, p. 159.
  5. Babington, Manual of Brit. bot., 2e éd., p. 28.
  6. Ledebour, Fl. ross., I, p. 159.
  7. Grisebach, Spicilegium Fl. rumel., I, p. 265.