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ANTHOLOGIE FÉMININE

existence par une heureuse fiction ou par des souvenirs intéressants ?

Si l’expérience s’acquiert moins à force d’agir qu’à force de réfléchir sur ce qu’on voit et sur ce qu’on a fait, la mienne peut s’augmenter beaucoup par l’entreprise que je commence.

La chose publique, mes sentiments particuliers, me fournissent assez, depuis deux mois de détention, de quoi penser et décrire sans me rejeter sur des temps fort éloignés ; aussi les cinq premières semaines avoient-elles été consacrées à des Notices historiques dont le recueil n’étoit peut-être pas sans mérite. Elles viennent d’être anéanties ; j’ai senti toute l’amertume de cette perte que je ne réparerai point ; mais je m’indignerois contre moi-même de me laisser abattre par quoi que ce soit. Dans toutes les peines que j’ai essuyées, la plus vive impression de douleur est presque aussitôt accompagnée de l’ambition d’opposer mes forces au mal dont je suis l’objet, et de le surmonter ou par le bien que je fais à d’autres, ou par l’augmentation de mon propre courage. Ainsi, le malheur peut me poursuivre et non m’accabler ; les tyrans peuvent me persécuter, mais m’avilir ? jamais, jamais !

Manon on m’appeloit ; j’en suis fâchée pour les amateurs de romans : ce nom n’est pas noble ; il ne sied point à une héroïne du grand genre ; mais enfin c’étoit le mien, et c’est une histoire que j’écris. Au reste, le plus délicats se seroient réconciliés avec le nom en entendant ma mère le prononcer et voyant celle qui le