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Page:Améro - Le Tour de France d’un petit Parisien.djvu/378

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LE TOUR DE FRANCE D’UN PETIT PARISIEN

n’y avait plus à s’y tromper : Emmeline ou Cydalise, c’était bien la charmante enfant, objet de tant de regrets, de tant de larmes silencieuses…

L’ogresse, d’un geste magistral avait fait taire la musique et cesser la danse ; et elle parlait d’une voix enrouée ; elle débitait le boniment, tandis que les deux jeunes filles soutenaient assez hardiment les regards de la foule. Et Jean, qui ne percevait rien qu’un bourdonnement confus tant son saisissement était grand, entendait cependant passer dans l’éloge exagéré de toute la troupe ce nom de Cydalise qu’il savait depuis quelques minutes seulement. On lui a changé son nom, pensa-t-il, mais Cydalise n’a rien ôté à la grâce d’Emmeline.

Soudain, les yeux de la jolie danseuse s’arrêtèrent sur le plus fervent de ses admirateurs. À n’en pas douter, la jeune fille venait de reconnaître Jean. Elle pâlit et rougit, visiblement décontenancée ; puis elle détourna la tête et, faisant un effort, elle sourit à son danseur espagnol. Mais Jean se fit petit et se glissa parmi les groupes, assuré de n’être point trahi par celle qui faisait semblant de ne pas l’avoir vu. Qui sait ce qui avait suivi les événements du Havre, après cette maladresse de montrer à madame Emmeline — devenue peut-être madame Cydalise — les photographies de la fillette ; et en s’oubliant jusqu’à faire apparaître comme une menace la baronne du Vergier ? Qui sait combien la pauvre jeune fille avait dû souffrir dans cette fuite précipitée !

Et Jean qui regardait Emmeline de loin, perdu dans la foule, se demandait comment on avait pu la soustraire aux investigations de la police.

Quand il fut un peu revenu de son trouble, son étonnement se partagea entre la petite danseuse et Jacob Risler : il y avait, certes, de quoi être fort surpris de les retrouver ainsi tous les deux à la fois ! Et cette grosse femme, cette « mère » indigne, revenue sur l’eau d’une façon si inattendue, en tutu rose et avec une couronne de fleurs sur la tête ! Comment pouvait-elle se trouver, elle troisième, dans une association si étrange de personnes aussi disparates ?

Que d’énigmes poignantes ! que de sujets de douloureuses réflexions !

Au milieu de tant d’incertitudes, une seule chose se présentait très nettement à la pensée de Jean : sa ferme résolution de ne rien faire savoir de ce qu’il venait de découvrir à madame du Vergier. Plus tard, il verrait !… Mais il ne voulait pas qu’on vînt lui enlever Emmeline, Cydalise ou Sylvia, à peine retrouvée, ni que la jeune fille disparût de nouveau aux regards de tous, et cette fois peut-être pour toujours ! Il n’écrirait donc pas à Caen, c’était sûr, — et il ne se montrerait point.