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LE TOUR DE FRANCE D’UN PETIT PARISIEN

— À l’œil ? c’est tentant tout de même ! dit-il. Mais pas aujourd’hui, demain.

— Au revoir, alors !

— Et puis qui rapporterait les canettes ?

— C’est juste ! Eh bien, à demain ! Un bon conseil, en attendant : vous devriez rester à Dunkerque jusqu’aux jours gras, mon garçon ; vous verriez comme les mascarades sont bien ordonnées. Ah ! il y a de quoi rire, allez !… c’est une folie, un délire universel. La ville entière marche sur les mains. Et s’il y a un instant de répit, c’est pour voir défiler de brillants cortèges, des cavalcades, des chars, des bandes de musiciens, des monstres, des groupes bouffons et grotesques avec bannières déployées, des bateaux tout enguirlandés et qui semblent marcher à l’aviron au-dessus de l’océan des têtes que forme la foule. Jean Bart est au gouvernail, naturellement, avec son chapeau à grandes plumes de chef d’escadre. C’est à la lettre ! Et puis, dans ces défilés, tout entre en danse, le ciel et la terre, les quatre parties du monde, le paradis, l’enfer, les géants populaires, les « Pirlala, » et le « Grand Reuse. » Tant que cela dure, le carillon du beffroi secoue ses clochettes, devenues, ma foi ! les grelots de la folie. Ah ! que de bruit ! que de joie !…

— Est-ce que vous y serez encore aux jours gras ? demanda Jean feignant d’ignorer l’itinéraire adopté par la troupe ambulante.

— Non, nous avons à visiter Calais et à nous trouver pour la mi-carême à Saint-Omer. Ce sera la fin de notre tournée d’hiver.

— Ça me plairait, cette vie-là ! hasarda Jean.

— Tiens ! pourquoi pas ?… quand on aime la bière comme nous deux, on peut bien devenir camarades. Voulez-vous que je vous présente à M. Jacob ou à madame Cydalise : c’est tout comme, vu qu’ils vont se marier avant de quitter Dunkerque.

— Se marier ? Jacob Risler et la mère de Cydalise ?

— C’est à la lettre — de faire part, ajouta en riant le géant heureux de saisir ce calembour à la volée. Gare la casse !… les canettes…

Jean eut quelque peine à revenir de son étonnement. Puis il ramassa les canettes et les verres et, oubliant Jacob et sa grosse future, il répétait : « Un agneau ! Mademoiselle Cydalise, un agneau ! »

Puis il se sentit pris d’une envie irrésistible d’aller regarder à travers les planches et la toile, à l’endroit où le géant avait disparu à ses yeux, par une petite porte très adroitement dissimulée. Il colla son oreille aux parois, et pour ne pas avoir l’air d’un malfaiteur, il heurtait l’une contre l’autre avec