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Page:Améro - Le Tour de France d’un petit Parisien.djvu/539

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LE TOUR DE FRANCE D’UN PETIT PARISIEN

— Je voulais te garder par égoïsme, dit-il, maintenant je veux te garder, pour toi-même, pour te laisser le temps de réfléchir, — loin des coups de grosse caisse, loin de la demoiselle et des promesses du Risler : c’est un faux bonhomme celui-là !

Bordelais la Rose s’étendit longuement sur le devoir tracé à son jeune ami et il réussit à convaincre Jean.

— Écris, d’ici, à la baronne… et que tout s’éclaircisse… au lieu d’aller te mettre à la remorque de ces saltimbanques. Il ne lui manquait plus que ça à ton pierrot d’oncle, de se faire paillasse pour aller donner la parade d’une ville à l’autre ! Si jamais je te voyais. Oh ! je te renierais pour mon petit Jean ! Tu m’entends ? Je te renierais, si je te voyais avec eux !

Jean promit d’écrire ; puis le lendemain, il donna à son ami de bonnes raisons pour différer : en réclamant leur fille les parents de Cydalise feraient punir Risler et sa femme : il voulait éviter une catastrophe qui ressemblerait de sa part à une trahison. De Saintes, la troupe devait remonter à Rochefort : il verrait comment il s’y prendrait pour mettre en présence la jeune fille et quelqu’un de sa famille, en épargnant surtout à Risler la honte d’une poursuite.

— C’est peut-être par paresse que tu renvoies d’écrire à une autre fois ? observa Bordelais la Rose.

— Oh ! pas du tout, mon bon ami ! Et tenez je vais tout de suite écrire quelques lettres dont je pourrai recevoir la réponse ici même, puisque vous voulez me garder.

— Au moins huit jours pleins.

Jean écrivit à Jacob Risler et prétexta d’une indisposition pour ne pas retourner immédiatement à Saintes. Il écrivit à Modeste Vidal, à Paris — un peu au hasard. Il écrivit à Quentin Werchave, à Lille.

Les jours s’écoulaient calmes auprès de l’ancien zouave devenu comme on le sait propriétaire grâce à un héritage. La maison d’habitation placée au sommet d’une légère ondulation de terrain plantée de vigne, ne gardait pas beaucoup de fraîcheur pendant la journée ; mais les soirées étaient délicieuses. Sans le phylloxéra ce serait un paradis, aimait à dire Bordelais la Rose.

Le logis était tenu par une bonne vieille dame, cousine de l’ex-zouave et qui dès la première heure avait pris Jean en amitié et s’ingéniait à lui procurer toutes sortes de douceurs et de distractions.