avec un rival ; qu’il avait eu le malheur de le rosser plus qu’il n’est permis, et du coup, s’était fermé le cœur de Vivette, aux yeux verts glauques, sa promise ; son beau-père, à lui, profitant de la circonstance pour l’éloigner de sa mère et le chasser de la maison, — absolument comme s’il prenait intérêt à son rival, ou mieux, qu’il agît par pur esprit de justice.
Jean réfléchit un moment à ce que venait de lui dire le Breton.
— C’est donc un homme méchant ton beau-père ? demanda-t-il à Méloir.
— C’est pas un homme, c’est un tailleur. Un proverbe de chez nous, dit comme ça qu’il faut neuf tailleurs pour faire un homme.
— Et cette Vivette, elle est donc bien gentille qu’on s’assomme pour ses beaux yeux.
— Si elle est gentille ! Oh ! Seigneur Dieu du ciel ! Je le crois ben. Une rousse qu’allumerait le soleil ponant. C’est la vérité vraie, je ne mens point.
Jean sourit.
— C’est que, dit-il enfin, j’ai affaire près de Bordeaux.
— Bon ! allez à vos affaires, moi, je vas tirer du côté de Paris.
— Comme cela ? à pied ?
— À pied. On ne gagnait par gros d’argent blanc à la loge de votre oncle, vrai ; et le vieux chat-huant de pivert n’avait donné qu’un acompte sur la seconde quinzaine de juillet. Faut de l’économie, allez, à un gars comme moi pour joindre les deux bouts. Et encore que ma meilleure paire de souliers a filé sur Rochefort dans les bagages : de bons souliers presque neufs… moi qui craignais de marcher d’avec ! Personne ne vous a donc jamais rendu service, que vous ne voulez pas m’obliger de votre assistance ?
— Si ce n’était pas si loin, Landerneau !…
— Avec le chemin de fer ? Ça me coûte, allez, de dépenser mes derniers sous ; mais je le ferai bien pour vous, au lieu d’aller à pied… si vous payez votre place, comme de juste ; car vous ne voudriez pas être une charge pour un pauvre gars comme moi.
Méloir finit par décider Jean. Il faut dire que le Breton y mit une obstination sans égale : il ne voulut rien entendre. Cependant Jean perdait plus de la moitié du prix payé par lui pour le trajet de Paris à Bordeaux et, en se dirigeant vers la Bretagne, il s’éloignait encore et s’engageait dans de nouvelles dépenses. Néanmoins, il se laissa toucher : ce pauvre gars de Landerneau lui semblait si aventuré sur le chemin de Paris ! Et puis Jean lui avait quelques obligations. Toujours, il l’avait trouvé empressé et respectueux pour Cydalise