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Page:Améro - Le Tour de France d’un petit Parisien.djvu/90

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LE TOUR DE FRANCE D’UN PETIT PARISIEN

tral de la France ; ces dykes joignaient ensemble, d’une base à l’autre, les deux masses montagneuses dont l’écartement a produit la vallée.

À huit ou neuf kilomètres de Salers, le chemin, taillé jusque-là en corniche dans le roc, et surplombant l’abîme, s’engagea tout à coup dans la montagne, franchissant, à 1,300 mètres de hauteur, le col étroit qui rattache le plateau de Salers au nœud des cimes cantaliennes.

Jean se trouva transporté sans transition en pleine forêt ; le cabriolet ne bondissait plus sur des blocs rugueux de basalte nu, les roues de la légère voiture s’enfonçaient au contraire profondément dans un humus épais, vrai terreau de jardin ; l’air, subitement adouci, se laissait aspirer à pleins poumons, chargé d’aromes résineux.

Mais cette première impression de soulagement fut passagère pour le jeune garçon. La nuit arrivait sombre et inquiétante sous les voûtes superposées de plusieurs générations de hêtres et, dans les parties plus hautes, de sapins. Les ombres s’épaississaient dans un sous-bois où se pressaient le coudrier, l’alizier des oiseaux, le sureau à grappes rouges et le framboisier. Le sous-bois qui croît dans la puissante forêt du Falgoux, ne paraît nullement souffrir du voisinage des grands arbres, qui étalent leurs ramures à trente et quarante mètres au-dessus des fourrés, tant est grande la richesse d’un sol, où depuis des siècles s’accumule, se décompose et renaît la végétation forestière ; et où jamais n’a été fait un défrichement. Les arbres morts tiennent encore debout, attendant l’ouragan ou le coup de foudre qui doit les renverser, et revêtent les apparences d’une vie nouvelle, grâce à l’envahissement d’un inextricable fouillis de vignes vierges, de lierres énormes, de mousses pendantes, de viornes et de clématites.

L’émotion de Jean croissait de moment en moment.

Jacob et l’étranger avaient entamé une conversation à voix basse qui l’alarmait. À Paris, Jean, devenu aussi faubourien que possible, avait oublié le peu de patois allemand qui avait frappé son oreille dans sa première enfance, et cependant, le danger éveillant son intelligence, il comprenait que Risler et son compagnon formaient quelque mauvais dessein dont il devait être la victime.

— Où allons-nous ainsi ? leur demanda-t-il brusquement. Où allons-nous par la nuit qui approche, dans cette forêt sans fin ?

— Tu le verras ! fit Jacob Risler.

— Non, je veux savoir ! dit résolument le jeune garçon.

— Eh bien ! nous allons au Falgoux.