Page:Amable Floquet - Anecdotes normandes, deuxieme edition, Cagniard, 1883.djvu/134

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

qui expire ; et après cela, on n’avait plus entendu que les pas pesants d’un homme qui marchait péniblement, comme chargé d’un lourd fardeau. «  Entraîné, dit Gervais, par un mouvement invincible, je m’étais avancé : « Qu’y a-t-il donc, m’écriai-je, et qui peut se plaindre ainsi ? — Rien, avait répondu une voix troublée, rien ; c’est un malade que l’on transporte, et qui vient de s’évanouir. Bonhomme, allez à vos affaires. » Et j’entendis que cette voix disait tout bas, en menaçant : « Loue Dieu de ce que tu es aveugle ; car c’en était fait aussi de toi. » Je compris qu’un crime affreux venait d’être consommé ; et comment vous peindre l’effroi dont je fus saisi ? Tout contribuait à m’épouvanter, car, en ce moment, un violent orage éclatait sur nos têtes ; le tonnerre grondait à coups terribles et redoublés, et semblait poursuivre le meurtrier ; on eût dit que le monde allait finir. Tremblant et hors de moi, je continuai ma route, et j’avais juré alors de ne jamais révéler ce que je venais d’entendre, car le coupable est peut-être de ces contrées, et la vie d’un pauvre aveugle comme moi n’est-elle pas à la merci de qui la veut prendre ? Mais tout à l’heure, lorsque M. le bailli a parlé d’un cadavre trouvé à si peu de distance de l’endroit où j’avais entendu la voix, je n’ai pu retenir un cri. J’ai tout dit maintenant : puisse-t-il ne m’en point arriver de mal ! »