Page:Amable Floquet - Anecdotes normandes, deuxieme edition, Cagniard, 1883.djvu/140

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

ce qu’il y avait de sacré dans le ministère dont le ciel semblait l’avoir investi. À la tête du Parlement était le président Feu, que sa sagesse et sa gravité avaient fait nommer Caton-le-Censeur. « Gervais, dit-il à l’aveugle d’un ton solennel et pénétré, là, au-dessus de nous, est l’image de l’Homme-Dieu qui fut mis en croix et mourut injustement sur de faux témoignages. Jurez par cette image, jurez par Dieu lui-même, qui est présent ici et nous entend, que vous n’affirmerez rien dont vous ne soyez aussi sûr que vous l’êtes de votre existence, que vous l’êtes du malheur qui vous prive devoir le soleil. » Après ce serment, que le vieillard prêta avec cet accent de l’âme qui ne permet point de mettre en doute la sincérité d’un témoin, commença l’épreuve qu’avaient imaginée les anciens du Parlement. Déjà dix-huit prisonniers avaient comparu et répondu aux questions qu’on leur avait adressées : l’aveugle, en les entendant, n’avait fait aucun mouvement ; de leur côté, en apercevant cet homme qui leur était inconnu, ils étaient restés indifférents et paisibles. Ce fut alors qu’un dix-neuvième prisonnier fut introduit à son tour ; mais qui dira la stupéfaction de celui-ci à la vue de Gervais ? qui peindra le bouleversement soudain de tous ses traits : son visage qui pâlit et se contracte, ses cheveux qui se dressent, la sueur soudaine qui glace son front, et sa défaillance