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L’ATELIER D’INGRES.

ne me paraissait pas assez sensible pour qu’il se décidât à recommencer, comme il venait de me le dire, une chose faite et si admirablement réussie.

« C’est égal, me répondit–il, le mouvement est plus chaud sur le dessin ; voyez… » Et il se mettait dans la pose, ce qui ne laissait pas d’être assez comique : « Je la recommencerai. » C’était une figure plus grande que nature, et il la recommença.

J’ai dit un mot des chagrins, des désespoirs de M. Ingres quand il travaillait ; j’en eus la preuve un jour que je lui demandais s’il avait terminé un portrait à la mine de plomb, dont je connaissais l’original.

« Ah ! mon ami, s’écria–t–il, ne m’en parlez pas… c’est très–mauvais. — Je ne sais plus dessiner… je ne sais plus rien… Un portrait de femme ! rien au monde n’est plus difficile, c’est infaisable… Je vais essayer encore demain, car je le recommence… C’est à en pleurer. » Et les larmes lui venaient véritablement aux yeux.

Mais madame Ingres, avec son sang-froid : « Il est toujours comme cela, me dit–elle, il est fou… Laisse–moi donc tranquille ; je t’ai entendu cent fois me dire que tu ne savais plus rien… Je suis habituée à tes désespoirs. »