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dans la cabine d’un vieux marin de cinquante-trois ans de service. Les craquements recommencèrent ; ce furent les derniers. Je m’aperçus que notre vaisseau se brisait, puis je sentis qu’il s’enfonçait dans l’abîme. Mon lit s’écroula ; partout autour de moi des cris d’angoisse : j’étais dans une obscurité complète. J’attendis la mort en toute confiance. Je pardonnai à tous ceux qui avaient pu m’offenser : je recommandai mes parents à la garde bienveillante de Dieu et lui remis mon âme. Mais alors il m’accorda une délivrance que je n’espérais pas.

Au moment où je croyais les parois prêtes à se briser, Dieu me donna la pensée de faire un suprême effort pour me dégager de l’eau et des cadavres qui encombraient la cabine. Je m’échappai sur le pont par une fenêtre. J’y trouvai beaucoup de gens. Je vis que le navire était rompu en trois parties. La partie où nous étions émergeait au-dessus des flots. Il était à peu près deux heures de la nuit. Environ trois cent cinquante créatures humaines avaient perdu la vie. Grâce au reflux, nous pûmes gagner la terre en nous glissant le long d’un mât. Ma première pensée fut de rendre grâce au Seigneur.

On entendait le jeune Kempf, âgé de douze ans, s’écrier au moment de péril : « Papa ! papa ! nous mourons ! Nous allons vers le bon Dieu ! »



LETTRE DE MONSIEUR L. VAN BUREN.



Dordrecht, novembre 1853.

…Vers deux heures et demie, monsieur Vernier nous pria de nous lever, disant que nous étions en grand danger. Je pris mon manteau et je montai sur le pont. Je fus convaincu que notre dernière heure était proche. Le bâtiment, poussé par un vent terrible, couvert d’eau,