Page:Amiel - Grains de mil, 1854.djvu/132

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
— 126 —

Ce soir, à la seconde fois, j’ai compris les deux ouvertures. La première, la grande, signifie : Mélancolie ; la seconde : Espérance. Toutes deux jaillissent du centre du sujet, du cœur de Lénore. L’une dit : Triompherai-je ? l’autre : Je triompherai. Dans la première, Lénore recueillie en elle-même, opprimée par le sentiment de la destinée, et visitée par trois ou quatre pensées inquiètes, interroge le sort et se réfugie enfin dans la conviction de la justice de Dieu. Dans la seconde, Lénore est joyeuse dès le début ; Dieu est là, la Providence veille sur l’innocence ; nous pouvons être éprouvés un temps, mais nous sommes sûrs de la victoire. L’âme confiante se laisse aussi entraîner un moment à la rêverie, mais c’est l’adoration, l’harmonie de la nature, qui fait le fond de sa rêverie. La première ouverture enferme ses évolutions d’inquiétude passagère et d’espérance fugitive dans le ton fondamental de la mélancolie ; la seconde enferme sa mélancolie en dedans de l’allégresse. Ces deux Lénores sont de caractère différent, toutes les deux élevées et idéales, mais la première d’une nature plus profonde.


XXXIX. — L’ALLURE NATURELLE.


On te voit toujours inquiet, agité, affairé, et rarement sur ton front soucieux ou distrait apparaît l’expression si douce de la sérénité, signe d’une vie pleine mais normale. Tu as tort. Emploie ta jeunesse et ne l’use pas. Apprends à trouver ton allure et à ne dépenser que le revenu de tes forces.