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sociale. Cette connaissance donne à l’individu plus de consistance en lui montrant sa vraie place, et de calme en lui assignant à la fois sa juste mesure et ses limites. Entre la timidité craintive et la présomption orgueilleuse, qui sont deux maux, se trouve l’assurance, qui est un bien. — Sentir ce qu’on est, est une chose aussi précieuse que sentir ce qu’on n’est pas.

LXV. — LE SUPPORT.

Le support ne consiste pas à supporter un reproche mérité, une punition juste, etc., mais à supporter un tort, à renoncer à avoir raison, à donner un acquiescement tout facultatif, à céder spontanément et de libre volonté ce qui ne peut être requis, exigé ni même attendu, à se désister d’un droit, en un mot, à faire un sacrifice non aux réclamations fondées et légitimes du prochain, mais à son humeur, à ses désirs, à ses faiblesses, c’est-à-dire purement et simplement à son individualité ou même à un caprice momentané de son individu. Pour le support, il faut se désintéresser, c’est-à-dire faire taire en soi, non pas seulement les penchants despotiques (c’est un devoir), mais, ce qui est plus difficile, la revendication de la vérité, le redressement de ce qui est faux ou mauvais, l’action, même excellente, sur autrui sans son consentement ; bref, il faut oublier la justice. Le support est une espèce de renoncement ; c’est le renoncement à la défense personnelle et à la correction du prochain dans les rapports quotidiens