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la seconde. En d’autres termes, revois deux fois pour voir juste ; ne vois qu’une pour voir beau. En effet, le premier coup d’œil est pour l’imagination et le second pour le jugement : l’un est poésie, l’autre est vérité.

LXIX. — L’ILLUSION ET L’AMOUR.

Comme les fleurs s’entourent par elles-mêmes d’une atmosphère de parfums, ainsi l’amour, par sa propre force poétique, s’enveloppe d’un nuage d’illusions, involontairement émané de son sein. Tantôt ces illusions remplacent aux yeux de l’amour fasciné la réalité absente, et alors l’amour, flamme sans aliment, condamnée à se dévorer elle-même, s’évanouit bientôt ; tantôt, complément secourable, les illusions achèvent et accomplissent pour les yeux de l’amour ébloui la réalité naturellement imparfaite ; alors seulement, capable de durée, l’amour peut briller d’une renaissante et immortelle jeunesse.

LXX. — PAYSAGE D’HIVER.

Aujourd’hui, 1er février, le temps a été admirablement beau et, comme l’auteur du Voyage autour de ma chambre, j’ai beaucoup voyagé de ma fenêtre. Armé d’une longue-vue, mon œil s’est promené dans toute l’étendue du vaste cirque de montagnes qui entoure Genève. Plaines et coteaux, gorges et cimes, villas endormies et villages éveillés, terre et ciel, lac et rivages, j’ai tout exploré par